HABITER ET RACONTER EN SOLASTALGIE | Déconstruire, reconstruire !
Sommaire
Conçu comme un passionnant outil de médiation culturelle, à picorer à l’envi, de-ci, de-là, le livre analyse plus de 300 récits cinématographiques qui questionnent notre futur, révélant un grand nombre de sources tangibles pour exemplifier le débat.
Voici quelques balises de lecture…
Solastalgie et nouveaux récits ? Le questionnement.
Appelée aussi dépression verte ou le mal du pays sans exil, la solastalgie est un néologisme qui conjugue la notion de « solacium », qui signifie soulagement ou consolation, à celle d’ « algie » qui signifie peine ou nostalgie. Dans les faits, elle définit une souffrance contemporaine née de la prise de conscience, saine et lucide, du dérèglement de notre habitat. La révolution climatique et éco-systémique que nous sommes en train de vivre provoquent un sentiment d’impuissance et une détresse, toutes deux, relatives à la perte du monde tel que nous l’avons connu.
A cette détresse solastalgique, une autre forme d’angoisse se greffe, celle des perspectives impossibles et de la fin des certitudes. C’est ainsi que se caractérise l’éco-anxiété, paralysant tous récit ou projection vers un demain serein et constructif.
Ces nostalgies du passé comme de l’avenir posent non seulement la question du deuil d’hier, mais aussi de notre renaissance. Comment faire à nouveau corps ? Nous réapproprier nos intimités comme nos territoires ? Comment retrouver un langage alors que les discours de la modernité n’ont plus cours ? Comment raconter un futur qui ne soit pas un effondrement, mais une profusion positive de liens nouveaux avec notre réalité complexe ? Plutôt que de reproduire les erreurs de nos ailleux, plutôt que de tenter une unique réponse impérieuse et dogmatique, Frédérique Müller décloisonne en tirant, de ses rencontres, des fils conducteurs afin de déconstruire les problématiques et peloter des ouvertures novatrices propices à des récits d’avenir possible. Créatifs. Par la même, elle en profite pour mesurer l’importance de l’imaginaire et des représentations dans les scénarios d’anticipation.
La perte et le deuil
Pour réussir à parler d’espérance, il faut savoir mesurer les conséquences globales et mortifères de notre modèle de développement, en mesurer l’effondrement avec réalisme : savoir identifier nos pertes. « Je pense qu’une notion intéressante par rapport à ces pertes est la notion de deuil (…) On vit en même temps le présent et le futur. Dans une superposition de vécus, on a la présence et l’absence », déclare, l’écopsychologue, Elie Wattelet. Même si les définitions de la perte et du deuil comportent évidemment une part négative et dramatique, ils peuvent aussi s’envisager de manière positive avec des approches plus rationnelles. L’une peut être la notion de pré-deuil : revisiter le passé et nommer correctement ce qui doit l’être, se préparer à s’en détacher tout en gardant une connexion avec ce qui est encore présent. Cela reste une manière saine d’établir un lien avec notre territoire en mutation et d’accuser la perte collectivement. De plus, dans notre réflexion, certaines notions doivent être déplacées pour éviter des clivages malheureux. « Le futur s’inscrit dans le temps linéaire et matérialise les conséquences du présent. C’est le plus probable. Mais l’avenir, c’est ce qui adviendra (…) C’est l’avenir qui donne de l’espérance, plus que le futur ». Il faut donc conserver dans nos projections un espace pour l’imprévisible, pour ce qui peut surgir, et non se focaliser sur une représentation d’un futur figé sur des conséquences immuables. Actuellement, le cinéma porte peu de discours ouvert à un imprévu positif. Par contre, un grand nombre d’œuvres parlent de nos pertes et du deuil, souvent obligé, que nous devons réaliser sans perdre nos résiliences. Pour nous, Frédérique Müller a réparti ces films en plusieurs catégories : la rupture des liens, douleur de territoire et nostalgie du futur, partir ou rester, l’incertitude au niveau politique.
Utopie vs eutopie ou dystopie
Face à son travail de créatrice, l’actrice et metteuse en scène, Eline Schumacher, met en lumière, dans son témoignage, la force de l’utopie qu’elle considére comme une énergie qui définit un but, une raison d’être. En même temps, elle soulève une question importante sur la diffusion de ces nouveaux récits. « Sans utopie, le risque est grand de sombrer dans une sorte de catastrophisme paralysant (…) Comment imaginer un autre monde alors qu’iels ne cessent d’entendre que celui-ci va subir une série de catastrophes sans précédent ? Comment déployer utopies et eutopies ? ». Le cinéma a donc une importance primordiale en la matière.
Dans les discours scénaristiques, Frédérique Müller identifie plusieurs points communs. Dans des films tels que La Belle verte, Lost Horizon, Dreams ou encore Avatar, le récit utopiste s’accorde pour définir un monde qui renoue avec la lenteur et la simplicité. Le présent est alors plus dense, conscient et moins matérialiste. Même si ces représentations ne remportent pas toujours l’adhésion complète, elles offrent des références à partager pour mettre en images d’autres manières de vivre et poser certaines questions. Dans l’Histoire, le besoin d’utopie est apparu à chaque fois que le système de fonctionnement social s’est fragilisé : situation politique et sociale qui accumulent les tensions comme les contradictions, perte d’identité de certaines catégories sociales, fragilité des institutions,... C’est alors qu’elle se crée en réunissant des aspirations et des transformations pour un monde nouveau. Elle existe donc en amont d’une histoire. A l’inverse, la dystopie ne se raconte pas a priori, elle se constate a postériori. Elle sommeille dans l’utopie, lorsque celle-ci n’est plus une vision globale collective, mais devient un discours univoque qui peut ouvrir vers des voies totalitaires. Cette dystopie, « a posteriori », est un ressort dont le cinéma ne se lasse évidemment pas.
Dans les multitudes de futurs dystopiques, on remarque que le cinéma propose, le plus souvent, des visions faites de régressions sociales et politiques, comme si la chute d’une société capitaliste et consommatrice signifie la fin du lien social. Majoritairement, après un effondrement, les scénarios montrent des mondes en ruine qui se traduisent par des situations de chaos, d’anarchie où l’humanité privée de son système global d’encadrement (police, banques, industries) sombre dans une violence primitive où « l’homme est un loup pour l’homme ». On retrouve déjà ces modèles dans les premiers films de zombies, de Georges Romero, comme dans les versions modernes telles que I Am Legend, 28 jours plus tard. Il en va de même pour des films d’anticipation post-apocalyptique comme La Route, The Omega Man, The Day after Tomorrow…
A l’inverse, quelques séries récentes essayent de se concentrer sur les possibilités de reconstruction et de réorganisation de la société. C’est le cas pour Station Eleven et The Last of Us. Depuis peu, les récits commencent à s’agencer selon des axes différents.
Pour éviter toute forme de dystopie dans les nouveaux récits, il est nécessaire de s’atteler à la déconstruction profonde du paradigme de la modernité et d’élaborer un inventaire de ce que l’on souhaite conserver, de ce qu’il faut inventer, de ce qui va rester et dont nous devons nous accommoder. Une destruction de paradigme qui semble faire peur au cinéma qui ne s’empare jamais vraiment de la thématique. Comme le dit la phrase attribuée alternativement à Fredric Jameson ou Slavoj Zizek, « Il est plus facile d’imaginer la fin du monde que la fin du capitalisme ».
Reconstruire ?
Si l’on cherche à écrire ou raconter des discours nouveaux, communs, qui soient éthiques, résilients, pérennes et qui tiennent compte de la place de chacun.e d’où qu’iel vienne, il faut inclure l’ensemble du système. Un système vaste qui comporte aussi bien l’humain, l’habitat, la santé, que l’écologie en tant que telle. « Quand on parle aujourd’hui des différentes crises, on pourrait considérer qu’il n’y a, en fait, qu’une seule crise : la crise écologique. Ecologie, au sens premier, c’est-à-dire qui a trait au vivant ». C’est ainsi que l’écoféministe, Noémie Toth, met en lumière, dans son interview les interdépendances entre chacune des faces de la problématique. Réfléchir le récit comme un décloisonnement est donc primordial. Un film de fiction comme Parasite, du Sud-Coréen Bong Joon Ho, montre, à quel point, les dégradations environnementales touchent, en premier lieu, les populations pauvres et racisées du fait de la précarité des infrastructures comme de l’implantation des sites polluants à proximité. Un exemple qui marque bien le rapport structurel évident entre racisme, classisme et dégradation de l’habitat. Le documentaire Blybarnen, de Lars Edman et William Johansson, exemplifie aussi cette thématique.
Frédérique Müller rebondit pour signifier à quel point il faut changer nos narrations afin que le mot « et » deviennent l’élément central plutôt que la politique du « nous » qui a caractérisé l’écriture occidentale depuis toujours. En réalité, c’est tout un ensemble de cloisonnements différents qui président à l’enfermement des discours Modernes.
Que ce soit les mouvements écoféminisites, décoloniaux ou queer, tous tentent de partir de leur position particulière pour identifier à quels rapports de domination ils sont soumis. Des approches différentes qui permettent de décoloniser le regard sur le passé, le présent et l’avenir. Des scénarios tels qu’Erin Brockovich, seule contre tous, de Vaiana, la légende du bout du monde ou encore Mad Max : Fury Road, expriment une opposition simpliste entre une civilisation masculine dysfonctionnelle et un idéal féminin et fantasmé qui a valeur d’antidote comme de lien inné avec la nature ? Autant de clichés qui démontrent à quel point les nouveaux récits doivent rester vigilants afin de sortir de l’ornière patriarcale imposée, inconsciente ou non. A l’inverse, un film comme Maléfique propose en interligne un discours plus abouti. Le personnage, reine sorcière d’un royaume peuplé de créatures étranges et d’une végétation luxuriante, se rebelle contre une société urbanisée, patriarcale et corrompue.
Avec Habiter et raconter en solastalige, Frédérique Müller tire bien d’autres fils encore : les rapports entre nouvelles agricultures et autres cultures, l’urbanisation, l’importance du rêve dans la fiction, l’hybridation ou encore les luttes de territoires,...
Passionnant et inspirant, l’ouvrage s’adresse autant à un public curieux qu’aux professionnels de la médiation. Avec PointCulture, vous pourrez retrouver l’autrice dans bon nombre de rencontres, dont voici un premier agenda :
Le 07/02/2024 à 18h00 au Musée L à Louvain-la-Neuve
Ecrire pour co-habiter avec le non-humain
Le 14/02/2024 - B3 - Centre de ressources et de créativité de la Province de Liège
Reliance
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Habiter et raconter en solastalgie, un ouvrage conçu par Frédérique Müller, 352 pages, publié en 2023 par PointCulture, avec le soutien de la Wallonie. ISBN 978-2-87147-442-5.