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Free jazz et documentaires

Shirley Clarke : "Ornette Made in America" - (c) Milestone Films
Une douzaine de films pour aborder en images une musique de libération des énergies et d'éclatement des carcans. Quand Cecil Taylor, Archie Shepp, Ornette Coleman, Sun Ra, Joëlle Léandre, Willem Breuker, etc. rencontrent William Klein, Shirley Clarke, Johan van der Keuken, Phill Niblock ou Luc Ferrari et Gérard Patris, etc.

Sommaire

"Free Jazz - Great Black Music" : programme Cinema Nova (avril 2004)


Avant-propos :

Cette sélection de films (et de disques liés) doit beaucoup au travail de recherche et de visionnements réalisé en 2003-2004 avec Fabrizio Terranova, Tamara Joukovsky et Vincent Cooper en préparation de la programmation Free Jazz - Great Black Music au Cinéma Nova (avril 2004). Je me suis dès lors permis de reprendre certaines notices rédigées à l'époque pour certains films projetés.


- Gérard Patris et Luc Ferrari : Cecil Taylor à Paris

Notre plus belle découverte pour la programmation du printemps 2004 au Cinéma Nova. Un film que Luc Ferrari lui-même n’avait plus vu depuis la table de montage (il avait raté sa seule diffusion télévisée) et que nous avions fini par retrouver à l’Institut national de l’audiovisuel (INA) sous un autre titre que celui sous lequel on y faisait généralement référence dans les ouvrages consacrés au pianiste Cecil Taylor

Mais, surtout, au-delà de la rareté de la chose, un incroyable moment de télévision de haute voltige… Cecil Taylor joue (avec Andrew Cyrille, Jimmy Lyons et Alan Silva) dans un hôtel de maître de la Place des Vosges devant la caméra 16mm de Patris et Ferrari mais – surtout – trace verbalement une ligne de démarcation nette entre l’Amérique des académies de musique et celle « de l’autre côté des voies de chemin de fer ». « Dans mon cas, le chemin de fer se trouvait en dehors de Boston, dans une ville nommée West Metfords. Et là, j’ai entendu d’autres musiques ». « Que pensez-vous de musiciens tels que Stockhausen ? Il ne vient pas de ma communauté. Et Jean-Sébastien Bach ? Il ne vient pas de ma communauté. Et John Cage ? Il ne vient pas de ma communauté. »


- Roland Kirk / Ornette Coleman / deux films de Dick Fontaine (1966)

John Cage, il en est aussi question dans le film Sound ?? (1966) de Dick Fontaine. Bien que Rahsaan Roland Kirk et John Cage ne se rencontrent physiquement à aucun moment du film, ces deux musiciens iconoclastes partagent une même vision des possibilités quasi illimitées de leur art.
Kirk joue trois saxes en même temps, intègre des enregistrements de chants d’oiseaux, passe à la flûte, joue pour les enfants et les animaux d’un zoo, distille ses sifflements au public qu’il encourage à l’accompagner « in the key of W, please »...

À la même époque, le saxophoniste Ornette Coleman est à Paris pour écrire et enregistrer la bande originale d‘un projet cinématographique du Living Theatre intitulé Who’s Crazy ? Le réalisateur Dick Fontaine capte les trois journées de cette performance d’anthologie, qui a réuni, autour d’Ornette, Charles Moffett aux percussions et David Izenzon à la basse. Plus de quinze ans plus tard, en 1983, la cinéaste Shirley Clarke finira un film sur le même Ornette Coleman commencé… en 1968 – cf. ci-dessous.


- Archie Shepp / William Klein : Festival panafricain d’Alger (1969)

En 1969, William Klein accepte de venir filmer le Festival panafricain d’Alger. Sa copie dépasse de loin la simple « captation » des moments forts d’un festival. Festival panafricain d’Alger est une œuvre en soi, un film-essai splendide, qui réussit à capter un moment d’utopie partagée (la décolonisation d’un continent) et la double intensité d’un moment politique précieux et de propositions artistiques bouleversantes (musicales, mais aussi littéraires, théâtrales, etc.). La majeure partie du discours politique passe par la typographie et le montage.

Vers la fin du film, à la fin de la séquence sur les nuits électriques et intenses d’Alger, filmées par l’équipe de Klein à deux heures et quart du matin, d’abord à partir des coulisses du Théâtre de l’Atlas, Archie Shepp lance ce qu’il nomme lui-même « une expérience en improvisation » avec des musiciens algériens, présentée en arabe et en français par la speakerine de la soirée, puis en français et en anglais par ces mots du poète, trompettiste et peintre Ted Joans :

Nous sommes revenus. Nous sommes les Noirs américains, les Afro-Américains, les Africains des États-Unis. Mais la première chose : nous sommes des Africains. [applaudissements] —— We have come back. Jazz is a Black Power ! Jazz is an African Power ! Jazz is African music ! — le poète Ted Joans au public d’Alger


- Sun Ra / Phill Niblock : Magic Sun (1966)

Filmé en 1966 sur le toit et dans les entrailles du QG new-yorkais de Sun Ra et de son Arkestra (avant qu’ils ne repartent pour Philadelphie en 1968) par le compositeur minimaliste américain Phill Niblock, ce court métrage expérimental (quelques années après le New York Eye & Ear Control de Michael Snow / Albert Ayler, Don Cherry, Sunny Murray, etc.) associe une « bande-image » de gros plans solarisés (hommage étymologique au Dieu Soleil ?) montés dans la caméra et une bande-son très frénétique. Diadèmes, tiares, bijoux, instruments, mains, taches : les gros plans sont ici poussés tellement loin qu’ils confinent à la macrophotographie et que, par le crescendo dans l’abstraction, ils privilégient une jouissance sensorielle du mystère de Mister Ra plutôt que toute tentative de documentation cartésienne du rituel. À l’époque, le film était souvent projeté lors des concerts du groupe.
[d’après la notice pour le Cinéma Nova, 2004]


- Robert Mugge : Sun Ra - A Joyful Noise (1980)

« They say that history repeats itself, but history is only his story. You haven’t heard my story yet. »
(Sun Ra)

Presque quinze ans après le film précédent, l’Arkestra joue sur un autre toit, celui du Philadelphia International Center... Dans une certaine unité de temps (deux ans de tournage, à la charnière des années 1970 et 1980, un Sun Ra sexagénaire ; aucune image d’archives) et de lieu (la home base de Philadelphie, deux brèves échappées à Baltimore et devant la Maison-Blanche à Washington), Robert Mugge et sa petite équipe filment, en couleurs cette fois, à la fois la musique et la pensée de Sun Ra. Même si – forcément, vu leur durée et celle du film – les morceaux sont parfois coupés, ils existent cependant dans une certaine durée, ont le temps d’installer leur univers sonore. L’ensemble des séquences musicales donne une bonne idée de la richesse et de la grande variété de la musique de Sun Ra. Quand elles s’interrompent, c’est pour laisser la place à la parole du leader de l’Arkestra. Souvent filmé dans la section égyptienne du Musée de l’Université de Pennsylvanie, il y développe sa pensée poétique, politique et philosophique. Un autre point fort du film est de montrer ce qui, au-delà de ce rapport étrange et fascinant entre discipline (exigée) et émancipation (offerte), lie le leader à ses fidèles musiciens pour en faire un groupe, une communauté. Mugge filme leur maison au 5626 Morton Street, dans le quartier de Germantown, et il est plus que touchant d’entendre le batteur James Jacson et le saxophoniste John Gilmore parler de leur épanouissement musical et personnel vécu aux côtés du maître (depuis presque 20 ans pour l’un et 30 ans pour le second, au moment du tournage).


- Shirley Clarke : Ornette Made in America (1968-1983)

En septembre 1983, le maire de la ville de Fort Worth au Texas accueille le compositeur et multi instrumentiste (saxophoniste, violoniste, etc.) dans la ville où il a grandi, d’où il est parti pour devenir musicien, en décrétant un « Ornette Coleman Day » et en lui offrant symboliquement les clés de la ville. Après un film tourné, monté mais refusé par son producteur en 1968, cette nouvelle rencontre entre un des principaux rénovateurs du jazz (rien que les titres de ses premiers albums sonnent comme des déclarations d’intentions : Something Else!!!! [1958], The Shape of Jazz To Come [1959] ou Free Jazz : a Collective Improvisation [1960]) et une des innovatrices les plus jazz du cinéma underground new-yorkais des années 1960 (The Connection, The Cool World, Portrait of Jason) débouche sur un film de recherche, osant l’éclatement (pellicule et vidéo, années 1960 et 1980, documentaire et scènes rejouées, etc.) et abordant les thèmes de l’utopie, de l’enfance et de l’organisation spatiale profondément inégalitaire de la ville aux États-Unis.


- Charles Gayle, William Parker, Jeanne Lee, David S. Ware... / Ebba Jahn : Rising Tones Cross (85)

Double portrait de New York et du « New Jazz » au milieu des années 1980, ce film n’est clairement pas un reportage TV. Tourné en pellicule, il s’offre surtout, 110 minutes durant, le temps d"une réelle écoute. Une écoute de la parole dans les interviews avec le saxophoniste autodidacte Charles Gayle, le contrebassiste activiste William Parker et Peter Kowald, dont Ebba Jahn présente ici la version sédentaire de la recherche des racines (afro)américaines de sa musique. Trois voix pour aborder l’économie d’une musique, pour dire la (sur)vie de musiciens jamais riches, souvent pauvres, parfois obligés de taxer les amis, de faire la manche ou de fouiller les poubelles. L’écoute de la musique aussi, avec de longs extraits d’une dizaine de concerts, une quarantaine de grands musiciens en action, culminant dans les performances de trois grands ensembles regroupés autour de William Parker, de Don Cherry et de Peter Brötzmann.
[d’après la notice pour le Cinéma Nova, 2004]


- Peter Kowald / Laurence Petit-Jouvet : Off The Road (2001)

À part le piano, la contrebasse est, à priori, le plus « intransportable » des instruments clés du jazz. Si le nomadisme du contrebassiste a déjà donné de belles photos (William Parker, photographié par Jacques Bisceglia, arrivant chargé comme un baudet dans un festival, ou Peter Kowald, capturé par Nicole Aders, trimbalant sa contrebasse en vélo), il a aussi suscité un émouvant road movie musical. De mars à mai 2000, Laurence Petit-Jouvet a suivi de près Peter Kowald réalisant son rêve d’adolescent allemand des fifties : sillonner les États-Unis de Nashville à New York, de New Orleans à San Francisco, à la recherche des sources de son art : la musique noire américaine. Même si un film ne peut donner qu‘une image parcellaire d’une telle expédition, la cinéaste excelle dans la captation sensible de moments d’émotion et de rencontre, tant sur scène (aux côtés entre autres d’Hamid Drake, William Parker ou Fred Anderson, etc.) que de plain-pied avec la réalité sociale des USA, dans un lieu d’accueil pour laissés pour compte, dans un centre d’archivage de la culture indienne ou aux cotés de Blacks californiens luttant contre la gentrification de leurs quartiers.
[d’après la notice pour le Cinéma Nova, 2004]


- Bernard Josse : Soldier of The Road - A Portrait of Peter Brötzmann (2011)

Saluant le septantième anniversaire de Peter Brötzmann, voici un documentaire de plus de 90 minutes (augmentées d'une heure d'interviews complémentaires - avec Evan Parker, Han Bennink, Fred Van Hove, Michael Wertmüller et, Jost Gebers - et d'extraits de concerts principalement captés dans le courant de 2009 : le Chicago Tentet, le trio Sonore avec Gustafsson et Vandermark, le quartet avec McPhee, Kessler et Zerang) servi par une image, un son et un montage impeccables. Le documentaire se bâtit autour d'entretiens menés par le journaliste et photographe Gérard Rouy que viennent ponctuer archives historiques, témoignages, séquences de concerts, scènes au jardin, à l'atelier (Brötzmann est aussi dessinateur et peintre), à l'hôtel ou dans la nature.

Autour du portrait de ce saxophoniste hors norme se dresse, en toile de fond, bien plus que l'histoire d'un homme. Il s'agit bien de réévaluer l'impact de tout un mouvement, que l'on nomme "improvisation européenne", dont Peter Brötzmann sera une figure très influente, mouvement qui va ébranler durablement la sphère du free jazz et d'une manière plus large la musique en général. Essentiel ! [Betrand Backeland, Détours n°3, 2012]


- Christine Baudillon : Joëlle Léandre – Basse continue (2008)

« Léandre, corps impétueux planté comme un arbre dans la tempête, est une lutte.
La contrebasse, instrument le plus grave qui soit, est sa vie.
Léandre, voix incandescente et incantatoire, est un chant du feu.
»
(synopsis du film sur la site de Hors Œil Éditions, producteurs du film)


Un portrait de Joëlle Léandre : sa carrière retracée, son énergie poétique expliquée, des extraits de ses concerts et complicités, dont un duo avec George Lewis. Elle raconte, en prenant plus de temps que ne peut y consacrer un article de journal, l’importance de sa rencontre avec Cage, comment ça se passait, comment ça perturbait, déstabilisait le bagage musical pour mieux engendrer la musique. Lieu de jaillissement. Ce qui apparaît formidablement dans ce portrait filmé et dont on ne pouvait avoir que l’intuition en étant un auditeur distant, c’est la manière dont, dans toute la portée de l’expression, elle fait corps avec l’instrument. Et vice-versa. C’est un champ qu’elle laboure et dont elle parcourt les sillons. Tantôt cultivé, tantôt en jachère, damé ou retourné. C’est un arbre où elle se réfugie et dont le tronc enlace sa taille. L’importance de la parole, du texte, confirme aussi ce que l’on entend. La musique surgit d’un point aveugle d’où sourd le langage, et la musicienne, dans tout son engagement, invente formules musicales et techniques pour installer cette musique, la conserver, éviter qu’elle se perde, se disperse, et elle la façonne au même rythme que des mots, des phrases ou onomatopées, mots abstraits, s’échappent de sa bouche, tournent sous son crâne, agitent ou apaisent sa carcasse. Elle suit intensément, sans contourner les difficultés, qu’elles soient de convenances, de pudeur ou d’exécution technique, des partitions intérieures complexes, mouvantes, un langage où elle tente d’établir tous ses êtres, tous ses devenirs liés à tel champ, tel ciel, telles vagues, tel autre musicien… [Pierre Hemptinne, blog Comment c'est]


- La scène anglaise d’improvisation libre / Antoine Prum : Taking the Dog For a Walk (2012)

Ce passionnant documentaire de plus de 2h30 se focalise essentiellement autour de la parole, des témoignages, souvenirs et pensées (artistiques, politiques, triviales… ou philosophiques) d’acteurs de la scène britannique des musiques improvisées. Une partie conséquente des interviews sont menées de main de maître, avec un rapport quasi magique d’érudition et de générosité curieuse, par le comédien de stand up Stewart Lee. Commençant « en fanfare » par un duo – forcément aléatoire – entre le batteur Mark Sanders et Mrs Boyes, tireuse de bingo, le film est parcouru d’un certain humour « so british ». Taking the Dog For a Walk (autre clin d’œil – à « trois spectateurs et un chien », sorte d’équivalent local de notre « trois pelés et un tondu » faisant référence au public parfois clairsemé de certains concerts improvisés du passé) évoque aussi la ville de Londres, p.ex. par le lien qu’un autre batteur, Roger Turner, établit entre l’exiguïté des appartements, la proximité des voisins et la musique jouable dans de telles conditions (petites espaces, petits instruments, une caisse claire ou un violon, de petits gestes pour une petite musique – une « musique d’insectes ») puis, bien sûr, dans l’évocation des lieux clés de la scène : du Little Theatre Club au QG d’Incus en passant par l’ancienne cantine des cheminots de Camden Town qui abrita le London Musicians Collective (« Il n’y avait pas de toilettes, il fallait aller au pub en face. Mais c’était le paradis ! » se souvient Max Eastley) – jusqu’aux lieux actuels : l’incontournable Cafe Oto, le Vortex jazz bar, la péniche Boat-Ting, etc.


- Willem Breuker + Johan van der Keuken : une dizaine de films (1966-1994)

Alfred Hitchcock / Bernard Hermann, Federico Fellini / Nino Rota, Jacques Demy / Michel Legrand, Tim Burton / Danny Elfmann… Si, dans le domaine du cinéma de fiction, les binômes réalisateur / musicien caractérisés par une grande fidélité dans leur relation de travail sont fréquents, il en va tout autrement des cinéastes documentaires… Personnellement, il y a cependant deux de ces nœuds de complicité, entre un filmeur du réel et un homme du son, qui me viennent à l'esprit ; deux couples où le musicien évolue dans les sphères des musiques improvisées d'après le free-jazz, d'ailleurs : Robert Kramer et le contrebassiste Barre Phillips (quatre films en commun de 1980 à 1999 – si Kramer n'était pas mort alors, il y a fort à parier qu'il y aurait eu d'autres rencontres) et, surtout, Johan van der Keuken et le clarinettiste, saxophoniste et chef de bande Willem Breuker. De Een film voor Lucebert en 1966-1967 à Animal Locomotion en 1994, ce ne sont pas moins d'une petite douzaine de films de van der Keuken que Breuker aura, en trente ans de parcours commun avec son complice-cinéaste, entrelardé de ses sons.

Si les deux hommes se sont si bien entendus, c'est probablement aussi parce que, dans leurs domaines respectifs, ils étaient tous deux des « esprits débordants », deux pieuvres aux nombreux tentacules partant à l'exploration de l'inconnu qui les environnait, totalement incapables de rester sagement engoncés dans les rôles qu'on aurait voulu les voir tenir. Johan van der Keuken était un photographe et un cinéaste et, en tant que cinéaste, n'hésitait nullement à faire s'entrechoquer, dans un même court ou moyen métrage, documentaire et mise en scène, point de vue personnel et thèse politique collective, enregistrement de la réalité et expérimentation de nouvelles formes de cinéma pour la raconter… Bref, loin d'être timoré, c'était un documentariste en expansion, centripète, perméable… Dans le champ de la musique, on peut presque dire la même chose de Willem Breuker : plus à l'aise dans la rue ou les théâtres que dans les clubs de jazz , un pied dans la radicalité du free jazz et un pied dans les musiques populaires (p.ex. son attirance pour les musiques de fanfares ou sa composition pour trois orgues de barbarie : Lunchconcert for Three Amsterdam Street Organs, 1969.

Sans cette ouverture d'esprit et cet esprit d'expérimentation des deux hommes, il n'aurait sans doute jamais été possible à Johan van der Keuken (grand amateur de jazz qui pensait aussi son cinéma en termes de musique) d'écrire a posteriori :

Ce qui m'a beaucoup enrichi dans le travail de Willem Breuker, c'est l'ancrage de la musique dans les qualités et les structures de tous les bruits et de tous les sons de la bande sonore elle-même. Donc, la musique n'est pas quelque chose qui joue derrière les images ou sous les images, elle peut jouer devant les images et elle peut aussi s'ancrer ou se fondre dans une bande sonore déjà montée. — Johan van der Keuken (Éditions Vidéo Ciné Troc 1985)

Ou encore :

Lors du mixage, j'essaie souvent de dresser la musique contre la voix en la poussant au maximum de sa puissance, c'est-à-dire jusqu'au seuil où la voix deviendrait inaudible. La musique s'affirme donc dans mes films avec une présence très forte, parfois déterminante dans le déroulement de l'action. — Johan van der Keuken (id.)

Emballé dans une pochette au goût douteux, un double CD reprend le LP qui, en 1978, compilait les premières compositions de Breuker pour van der Keuken, en le complétant des compositions plus récentes pour les films De Meester en de Reus [Le Maître et le géant, 1980], De Weg naar het Zuiden [Vers le Sud, 1980-81], I love $ [1986] et On Animal Locomotion [1994]. On citera la très émotionnelle composition pour cris de mouettes et section de cordes du Gewestelijk Orkest de Beauty, les chassés-croisés saxophone-hautbois-contrebasse-batterie du triptyque For You – Woman – Spanish Song pour le film de 1967 sur le poète Lucebert… Mais la vraie merveille de ce disque réside dans la longue, et lente, plainte pour pianos et trombone de la « Waddenzee Suite » pour De Platte jungle [La Jungle plate, 1978]. Onze minutes de pur bonheur !


toutes notices (sauf deux) : Philippe Delvosalle (2004-2020)

photo de bannière : Ornette Coleman dans le film de Shirley Clarke - (c) Milestones Films