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Sons de printemps - juin 2022

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Une fin de printemps maussade, des actualités internationales anxiogènes, un contexte économique déprimant… Nous n’y pouvons rien changer, certes, mais les propositions d’écoute qui suivent ne peuvent qu’améliorer l’humeur et attiser l’envie de découverte. En ce dernier mois du printemps, nous avons relevé quelques sorties musicales, principalement disponibles sur Bandcamp.

Sommaire

Eosine – Obsidian

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Colorant alimentaire, textile ou cosmétiques, cette Eosine-ci irise plutôt le ciel musical d’une atmosphère enveloppante et de textures sonores denses et soyeuses, jouées à la guitare, à la basse, au synthé et à la batterie.

Elena Lacroix apporte des compositions où éclot l’émotion et la sensibilité dans un univers qui se réfère à la science : l’espace pour « Antarès », la médecine pour « Transfusion » et la géologie pour « Onyx ».

Entre dream pop et shoegazing, les quatre titres d’Obsidian nous font pénétrer directement dans un monde délicat (la partie éthérée des morceaux) qui s’anime progressivement au son des guitares plus expressives dans un mouvement quasi cathartique. « Antarès », par exemple, révèle la voix cristalline d’Elena qui s’élève au-dessus de la stratosphère scintillante, planante, aérienne, rejointe par la rythmique et la guitare saturée en un crescendo-decrescendo libérateur.

Issu des environs de Liège, Eosine a sorti son EP fin 2021 et se produit régulièrement cette année (entre autres lors de la fête de la musique ce 18 juin à Marchin). Pour sûr, Eosine permettra de visualiser nos cellules d’émotions et l’éclat de son talent. [DM]

« Cause I loved you without overnotes, so clearly, wildly, no doubts. I gave you all my forces, my blood and heart turned into snow. » — Eosine

Baby Fire – Grace (Off Records)

Grace, paru début mai, est déjà le 4ème album pour Baby Fire, qui met ainsi un terme à une période de relative latence (le précédent Gold datait de 2016). À présent Trio 100% féminin stabilisé autour de Ceìcile Gonay, Lucile Beauvais et évidemment de Dominique Van Cappellen-Waldock, à l’origine de Baby Fire ainsi que d’une kyrielle de projets musicaux (Keiki, Fleur de Feu, Von Stroheim…) pas moins pertinents les uns que les autres. Un rock âpre et sombre, proche par l’incandescence émotionnelle de celui, écorché, mené par Shannon Wright de tout temps, ou par la PJ Harvey (l’introductif « A Spell ») qui se mesurait à Steve Albini (époque Rid of Me) au début des années 1990.

Plus encore que sur ses précédents disques, Baby Fire déploie son joli théâtre électrifié (pour la retenue et la scansion presque déclamatoire) derrière un rideau de noirceur opaque, et semble avoir quelque peu ralenti le tempo, mais le trio accueille une série d’invités/amis qui ajoutent ponctuellement de leur présence remarquable à cette représentation en dix titre, et sans jamais tirer la couverture à eux/elles. Eve Libertine (des légendaires Crass, amie de DCW) s’allie à l’ubiquiste G.W. Sok (The EX…) le temps d’un « Love » on ne peut plus crépusculaire. Plus loin, c’est Mike Moya (Godspeed You! Black Emperor, HRSTA…) qui vient mêler ses arpèges tournoyants le temps d’une sarabande aux accents incantatoires. Et enfin, Grace s’achève sur « Eternal », chanté à deux voix avec la petite sœur de cœur (Laetitia Sheriff) en contrechamp vocal. Une sortie d’album tout en grâce ! [YH]

Solah – Ballades (Cheap Satanism)

Cela fait quelques années que les albums solos du guitariste Gregory Duby nous touchent de plus en plus. Déjà sur le label bruxellois Cheap Satanism, les deux fois sous le nom de Jesus Is My Son, Faust et l’Enfer de Dante (2017) et Tout a une fin (même l’amour) (2018), nous avaient particulièrement convaincus. Officiant désormais sous le nom de Solah (un nom dont la sonorité évoque les efforts en solitaire et un côté solaire mais derrière lequel le musicien raccroche l’acronyme Songs of Love and Heat), Duby sort ces jours-ci un fort beau disque sous forme de double hommage. D’abord un hommage à Derek Bailey (« J’ai toujours adoré la façon de jouer de Derek Bailey, le guitariste improvisateur anglais. J’ai toujours été fasciné par la fraicheur qui se dégageait de sa musique. Simple, étonnante, imprévisible. ») et en particulier à Ballads, l’album de reprises de standards de jazz que Bailey avait sorti en 2002 sur Tzadik, le label de John Zorn. Par le choix de la couleur rose, de la typographie, de son titre évidemment, ce nouveau disque de Gregory Duby fait des clins d’œil à cet album paru il y a vingt ans. Mais Ballades, dans son millésime 2022, est aussi un hommage à Elle, une femme disparue en 2019 et qu’on devine très proche du musicien, à travers des chansons qu’Elle écoutait lorsque Gregory était enfant. Là où Bailey avait mis une journée à enregistrer ses improvisations, Solah a mis sept mois à peaufiner ses versions troublantes de ces morceaux de variété ou de pop surtout francophone (signées par exemple Michel Berger, William Sheller, Claude Barzotti, Jean Ferrat, Pierre Bachelet, Toto Cotugno ou Culture Club). Nulle moquerie ici, pas de position sarcastique typique de notre époque postmoderne mais une vraie réappropriation musicale totalement sincère : Duby ralentit les chansons, en évacue les paroles, en éloigne les notes les unes des autres en y insufflant de la respiration, du blanc, des micro-silences et en diminue le taux de sucre sans en évacuer pour autant l’évidence mélodique ou la puissance sentimentale. Dans la version de Solah, « Le Paradis blanc » de Michel Berger sonne par exemple comme un morceau de Durutti Column / Vini Reilly. Bouleversant. Un vrai tour de force. [PD]

Divers – Exploring Gong Culture of Southeast Asia : Massif and Archipelago (Sub Rosa)

Le massif et l’archipel du titre désignent respectivement l’intérieur des terres du Sud-Est de l’Asie (principalement le Vietnam et le Cambodge) et un ensemble d’îles de la région (Luzon aux Philippines, Borneo, Sulawesi, et Flores en Indonésie). C’est le territoire qu’a choisi de couvrir avec ce disque l’artiste japonais Yasuhiro Morinaga en prenant pour fil conducteur les traditions de musique de gong des différentes contrées traversées. A la fois simple et extraordinairement versatile, ce faussement modeste instrument de percussion se retrouve ici sous toutes ses formes : en solo, duo, petits ou grands ensembles. Enregistrées dans son environnement naturel, en mode field-recording, les 35 pièces présentées dans ce disque couvrent les traditions d’autant de minorités ethniques. Comme dans la série consacrée au même thème par Laurent Janneau (King Gong) , l’ensemble montre avant tout la diversité des approches de l’instrument, son utilisation dans des rites de transes rythmiques comme dans des mélodies hypnotiques. Beaucoup de ces techniques sont avant tout collective, répartissant un travail harmonique complexe entre des cellules individuelles entremêlées, elles ont une fonction incontestablement sociale. Yasuhiro Morinaga collecte ces sons qu’il présente sous des formes diverses, depuis le film jusqu’à l’installation sonore, en passant par la performance et la conférence. Il n’en est pas à son premier voyage d’enregistrement dans la région et a déjà documenté ces traditions dans une série de disques sur son label Concrete. Cette anthologie est en outre accompagnée d’un livret de 52 pages, avec une introduction de David Toop. [BD]

Primevère – Sémiophore I

Le multi-instrumentiste Romain Benard (Namdose, Ropoporose, Paradoxant) joue ici une pop rêveuse, éthérée et dépouillée sur laquelle se pose un chant en français doux et poétique. Ce premier extrait est magnifié par un joli clip qu’il a lui-même réalisé faisant la part belle aux Lépidoptères sur une ambiance printanière, bucolique et nostalgique.

Avec Sémiophore I, Primevère annonce son deuxième album "II", qui sortira le 14 octobre 2022 sur les labels Figures Libres Records & Deer.Dear.Records. [IK]

Avalanche Kaito – Avalanche Kaito (Glitterbeat)

Quand Kaito Winse, griot urbain burkinabé, rencontre à Bruxelles le bassiste Arnaud Paquotte et le batteur Benjamin Chaval, tous deux musiciens dans Zoho et Le Jour du Seigneur, ils décident de monter Avalanche Kaito, un projet assez particulier, loin des habituelles musiques de fusion Afrique/Europe. Le guitariste Nico Gitto (Facteur Cheval, Why The Eye, Zoft) a depuis pris la place du bassiste, apportant son propre univers sonore. Même s’ils sont issus de traditions a priori totalement opposées, ils composent (ou décomposent ?) une musique électronique à la limite du hardcore décalé, intégrant des textes et des sonorités inspirées des griots d’Afrique de l’Ouest. Ce n’est pas juste une juxtaposition de sons ; le groupe crée un nouveau style complètement déconstruit qui pourrait être qualifié d’afrofuturiste, mais pas uniquement. Il y a du noise électronique, des guitares punk, des chants dont on reconnaît l’origine (des proverbes traditionnels burkinabés) mais qui prennent un tournant un peu bizarre, mystérieux. Après un premier EP datant de janvier 2022, leur premier album sort ce 10 juin sur le label allemand Glitterbeat. Il a été enregistré de manière à se reconnecter le plus possible à une expérience en live et emmène l’auditeur dans un autre monde. [ASDS]

Ô-Celli – In America (Cypres)

A peine sortis du Concours Reine Elisabeth consacré au violoncelle, je vous propose de rester dans ses chaudes sonorités. Ici, pas de soliste, pas de concertos ni d’imposés. L’ensemble Ô-Celli a été fondé sous l’impulsion de Sébastien Walnier et d’Alexandre Beauvoir. Il compte huit violoncellistes belges ou étrangers travaillant en Belgique. Entre grandes pages du répertoire arrangées pour l’octuor et créations originales, ce nouvel album – qui fête les 10 ans d’existence de l’ensemble - nous ouvre aux horizons prometteurs de l’Amérique, du tournant des XIXe et XXe siècles à aujourd’hui. Côté ouest de l’Atlantique, on trouve Gershwin, Bernstein et la moins connue Florence Price, qui mérite pourtant d’être découverte plus largement. Outre qu’il s’agisse de la première femme noire américaine à avoir été interprétée par des orchestres symphoniques, elle a également introduit dans ses œuvres des éléments de musique des esclaves noirs américains, usant des rythmes syncopés de la juba, du blues ou du jazz, et les mariant savamment à de grands phrasés mélodiques romantiques. Imagination du jazzmen Fud Livingston complète la participation américaine au disque. Côté européen, une création de notre compatriote Harold Noben : American Wanders est un triptyque commandé par Ô-Celli, présentée en première mondiale en octobre 2021. Grandes envolées lyriques, riches harmonies, passages fugués, le compositeur, partenaire familier de l’ensemble, y évoque avec bonheur ses sources d’inspirations personnelles. Le programme se clôture par un medley de Duke Ellington par Michel Herr, compositeur, pianiste de jazz et arrangeur. Un beau voyage au pays de l’Oncle Sam ! [NR]

700 Bliss – Nothing to Declare (Hyperdub)

Sous ce nom un peu discret, un peu passe-partout, se dissimule un duo initié en 2014 par Camae Ayewa, plus connue sous le nom de Moor Mother, par ailleurs membre des collectifs Irresistible Entanglement et Black Quantum Futurism, et Dj Haram, membre du collectif féministe Discwoman. Toutes deux originaires de Philadelphie, les deux artistes se croisent et collaborent depuis de nombreuses années et associent leurs deux univers dans un panorama à 360° mettant en collision house, hip-hop, noise, electro et percussions nord-africaines. Les textes militants de la première sont soutenus par les vocaux et les arrangements de la seconde, ainsi que par une flopée de collaboratrices et collaborateurs : le musicien palestinien Muqata’a, la chanteuse franco-egypto-irano-anglaise Lafawdah, l’écrivain cyborg-hybride M.Téllez, la chanteuse soul philadelphienne Orion Soul, la vocaliste Alli Logout (du groupe punk Special Interest, de la Nouvelle-Orléans), Ase Manual de New-York, et le producteur Kode9 qui a mixé plusieurs des morceaux, et a sorti l’album sur son label Hyperdub. Luxuriant, foisonnant, désorientant, passant de l’ironie potache au drame, l’album s’écoute de préférence d’une traite, pour mieux profiter des sautes d’humeurs et des juxtapositions abruptes de styles, qui comme dans une bonne mixtape ou dans un dj set réussi, parviennent à surprendre à chaque virage sans rompre le rythme de l’écoute. Fidèle au refus des deux musiciennes de se laisser enfermer dans un genre, le voyage est chaotique, parfois furieux, et toujours ébouriffant. [BD]

Bààn – Shadowboxing (W.E.R.F.)

Du jazz pour ceux qui aiment le krautrock, et du krautrock pour ceux qui aiment le jazz. Les deux membres du duo Bààn, Philippe De Gheest (batterie) et Pascal Paulus (claviers) ont cessé depuis longtemps de se poser des questions de style et malaxent les genres dans des climats rétro-futuristes convoquant le voyage spatial de l’un comme l’épopée spirituelle de l’autre. Réputé plus abordable que les albums précédents, sans doute pour ses titres presque courts et radio-friendly (par rapport aux autoroutes de 20 minutes de Reset, Outtakes ou Bààn, leurs albums antérieurs, excellents au demeurant), ce nouveau disque se garde toutefois toutes latitudes de développer des ambiances sur la durée, en progressant lentement, par paliers imperceptibles, et conserve la production léchée et confortablement enveloppante de ses prédécesseurs. Sorti comme eux sur le label brugeois W.E.RF (Wasted Energy Record Factory), il complète avec pertinence les performances live du groupe. [BD]

Mitsune – Hazama

Basé à Berlin, le groupe Mitsune réunit trois joueuses de shamisen : Shiomi Kawaguchi, Tina Kopp, et Youka Snell, d’origine japonaise, allemande et australienne ainsi que le percussionniste grec Petros Tzekos et la contrebassiste japonaise Noriko Okamoto. Divers musiciens tout aussi internationaux les rejoignent sur l’album Hazama, jouant du banjo, de la flûte shinobue ou encore du qanoun. Leurs compositions se basent sur les traditions populaires japonaises, des musiques des festivals matsuri aux chindon joué dans les rues, tandis que les chants s’inspirent du style enka mais aussi de groupes féminins d’Okinawa comme Nenes. Les instruments du monde entier qui s’ajoutent aux shamisens créent un ensemble assez hybride lorgnant par moments vers la pop, les guitares hawaïennes, le surf. Le titre de l’album – « entre-deux » – traduit parfaitement les sensibilités mélangées des membres du groupe qui parlent des langues différentes et qui sont nés dans des cultures aux antipodes l’une de l’autre, créant une fusion comme le « curry rice » si populaire au Japon. Ce disque repousse les frontières musicales avec des mélodies simples et directes, essentiellement joyeuses et aux rythmes marqués, mais avec également quelques touches de nostalgie et des moments doux-amers. Il ne se laisse pas apprivoiser tout de suite et chaque nouvelle écoute révèle de nouvelles dimensions. [ASDS]

Danny Bensi and Saunder Jurriaans – Tokyo Vice (Lakeshore Records)

Tokyo Vice est une nouvelle série diffusée par HBO et basée sur le livre du même nom de Jake Adelstein, journaliste américain qui a investigué dans le monde des yakuzas japonais. Danny Bensi et Saunder Jurriaans (The Gift, Enemy) ont composé un score électronique très années 1990 et y ont introduit quelques clins d’œil : la musique du générique fait penser à celui de cette autre série produite par Michael Mann, Miami Vice, et on y retrouve les rythmes effrénés et répétitifs. A d’autres moments, les musiciens se sont inspirés du score d’Akira de Geinoh Yamashirogumi, même s’ils n’ont pas poussé le vice jusqu’à utiliser du gamelan. Ils ont par contre inclus des instruments japonais par petites touches – des percussions et des cordes, les mêlant aux nappes électroniques sombres et poisseuses, évoquant le monde de la nuit tokyoïte. [ASDS]

Ont contribué à cette playlist : Anne-Sophie De Sutter, Philippe Delvosalle, Benoit Deuxant, Yannick Hustache, Igor Karagozian, Daniel Mousquet et Nathalie Ronvaux

Photo by Joshua J. Cotten on Unsplash

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