Clarika a commencé sa carrière discographique il y a une quinzaine d'années chez Boucherie Productions. Depuis, elle a quitté la boucherie, mais elle a gardé le grand couteau, et le goût des chansons comme des tranches de vie servies fines et crues, façon carpaccio. Moi en mieux est son cinquième album et il commence avec Bien mérité, une chanson insoutenable sur le thème des immigrés clandestins, terrible de violence, de faux cynisme ("On prend pas un bateau, si on sait pas nager, ben non"). Une belle chanson, mais qu'on n'aura jamais la force d'écouter, désolé. L'album de Clarika comporte treize chansons, et je les aime toutes. Pourtant, je ne l'écouterai peut-être jamais après la cinquième, Lâche-moi. La chanson raconte la journée d'une petite fille avec sa maman, du chemin de l'école au goûter. Mais elle pourrait parler d'un petit garçon avec son papa. La maman s'est fait une raison : l'enfance ne durera pas, n'en perdons pas une miette. Elle chante "Lâche-moi la main, va voir autour, va mon amour", mais pense sans doute le contraire. Touché. Après Lâche-moi, plus une seconde à perdre, j'arrête le disque et je cours jouer avec Nicolas, 7 ans trois quarts. Dommage, il y avait encore plein de bonnes chansons derrière Lâche-moi. Et même devant. En troisième position, il y avait Moi en mieux, illustrée par la pochette de l'album : où Clarika, qui a trop lu la presse féminine, trop regardéla télé, trop inhalé l'air du temps, se rêve en wonder-woman vraiment intelligente, sûre d'elle, même de ses doutes, et blonde de surcroît. Moi en mieux, l'album, c'est le meilleur de Clarika : des chansons pop-wizz super bien chantées et arrangées, amples et confortables (Florent Marchet, le Sufjan Stevens berrichon, est de la partie), légèrement nostalgiques d'un page d'or de la pop, comme des fauteuils-club des années 70, mais avec le clou des années 2000 qui dépasse et fait mal, ouille. Clarika revendique l'influence de Souchon.Aussi, elle pourrait être la cousine de Vincent Delerm, la grande soeur de JeanneCherhal, Anaïs ou Olivia Ruiz. Mais quand elle grince, c'est parfois à Boris Vian qu'on pense. Femme (un homme n'aurait pas écrit de textes aussi justes sur les cabines d'essayage et le shampooing), Clarika n'est pas fleur bleue, ou alors chardon. Ses chansons aiguisées et frondeuses dézinguent, en douceur mais pour de bon, avec une acuité subtile et une drôlerie totalement désemparée, toutes les manies et les névroses de l'époque. Comme d'habitude, les sarkozystes et les imbéciles parleront de chanson pour bobo parisien trentenaire, sans comprendre qu'ici, le seul bobo est celui où Clarika plonge le couteau de ses mots. A sa façon, c'est une chanteuse folk : elle chante et apprivoise sa vie, ses émotions, avec les mots et les musiques d'aujourd'hui. Avec ses chansons insoutenablement légères, elle rend à la chanson populaire - ce truc qu'on appelait autrefois "variété" - sa dimension thérapeutique. Chanson futile, mais utile. C'est peut-être ce truc qu'on appelle encore "l'album de la maturité" - mais alors un accomplissement, plutôt que le début de la fin. L'épique chanson L'Ennui, elle l'a gardée pour la fin, justement. Parce qu'avant, on ne s'est pas ennuyé une seconde en écoutant l'album. Dans cent ans, quand des anthropologues voudront savoir comment on vivait en France en 2009, ils pourront écouter Moi en mieux. On vivait mal, maisClarika le chantait bien. (Stéphane Deschamps sur www.lesinrocks.com)