CAPSIZING MOMENTS
Sophie AGNEL
- Ref. UA1778
- EMANEM, 2009. Enregistrement 2008.
"Préparer un piano, c'est placer des objets ou des matériaux entre et sur les cordes de l'instrument pour en altérer le son. Le choix et le placement de ces ajouts crée un univers sonore personnel, distinctif de chaque préparation. celle de Sophie Agnel, ni fixe ni figée, évolue au fil du jeu où la pianiste ajoute ou déplace, enlève, remplace un objet, un artefact par un autre. Elle préfère d'ailleurs parler de "piano extensif". Néanmoins, quels sont-ils ces objets introduits ? Que font-ils au son, à la musique, au piano, préparé, extensif, au "preppiano extensif", ces artefacts choisis ?
Gobelets à eau, blancs, cassants, jetables - grésillements plastiques, inquiétudes. Fil de pêche, de nylon - durées sciées, stridences, alertes. Balles rebondissantes - cabrioles, trilles en cascades. Cendriers en aluminiums - crépitements métalliques, craquements. Cette musique est évocatrice, on pourrait décrire les images qui naissent de son écoute. Mais plus profondément, plus concrètement, le phénomène est autre.
Pas de métaphore : ce qui est introduit dans le piano, c'est du plastique "made in China", des feuilles d'aluminium de grande distribution, du nylon industriel, du caoutchouc de chambre à air, de la roche polie. ce sont des artefacts, industriels ou artisanaux, qui gardent la trace sonore de leur provenance, de leur histoire. Ils fondent un concret sonore. L'instrument culte de la musique savante occidentale, cet aboutissement de haute culture et sophistication, est encahi par le prosaïsme contemporain, la banalité manufacturée, par l'objet. l'indiscutable présence sonore créée par cette invasion peut bien garder tout son mystère (un auditeur aveugle serait bien en peine de discerner comment cette musique se fabrique) : cette présence de grondements, sonneries, sifflements, stridulations plastiques, fréquences métalliques, atteste, dans le ventre même du piano, d'un au-delà du piano, d'un mondes, forcément contemporain. Le piano est étendu au monde. Sophi Agnel met le monde dans le piano.
Comme en retour, les parties "de piano", au clavier notamment, souterrainement lestées de deux siècles de grande culture, de raffinement instrumental, viennent saper toute possibilité d'arrogance (post)moderne. Leur lyrisme, leur plainte oserait on écrire, dénie l'assurance du prosaïsme, mine les assises d'un monde sonore fondé dur le concret des matières transformées, sur la chimie des plastiques, sur les métaux composites. Ce monde fut-il infernal, il ne peut pleinement assoir sa brutalité, sans cesse contestée par le soupir, ou le rire, du clavier. Bien sûr aucune sonorité n'est jamais pure, le piano est définitivement altéré par ses envahisseurs mêmes. Mais du lointain sonore, d'un enfouissement artiste, sourd une voix, une voix humaine (une voix de femme); Sphie Agnel met le piano dans le monde.
Il n'est pas question de distinguer un vainqueur, du piano ou du monde, il n'est d'ailleurs pas possible de séparer la masse musicale. Il s'agit bien plutôt d'accueillir : et la fureur, l'angoisse, la noirceur, et le lyrisme, le pleur, la joie, en un tout organique niché dans la musique, là, au creux des deux "p" centraux du preppiano, dans la transformation dynamique des sonorités, dans ce refuge créé du choc d'un piano envahi. Peut-être n'a-t-on jamais encore improvisé ainsi au piano, au preppiano extensif. Sans doute n'a-t'on jamais encore vécu dans un tel monde... " Notes de pochette par Henri Jules Julien
Enregistrement aux Instants Chavirés à Montreuil (Paris).
Certains passages font penser à une façon de faire musique electro-acoustique mais il est spécifié que le disque est entièrement acoustique, point à souligner et important.
Sophie AGNEL est née à Paris en 1964. Collaborations avec Michel DONEDA, Alessandro BOSETTI, Olivier BENOIT, Catherine JAUNIAUX, Phil MINTON, Christine WODRASCKA...
Interprètes
Pistes
- 1 Capsizing moments (part 1)
- 2 Capsizing moments (part 2)
- 3 Capsizing moments (part 3)