"Après trois albums en solo (« Momentum », 2019 - « Pictures From Home », 2020 - « Primitiv », 2022), un en duo (« Duality », 2023) et deux en trio (« Sweet Tension », 2018 et « Moondancer », 2022), Julien Tassin élargit son horizon « jazz » dans une configuration en quartet. Ce projet a vu le jour l'année dernière alors que le trompettiste Ron Miles avait été invité à jouer avec Julien, le contrebassiste Nicolas Thys et le batteur Dré Pallemaerts sur la scène du Bozar à Bruxelles. Malheureusement, Ron est décédé inopinément le 8 mars 2022 peu de temps avant le concert prévu. Continuant malgré tout à écrire pour le projet, le guitariste a finalement proposé au trompettiste américain Jason Palmer de rejoindre le trio et, ainsi, d'honorer la mémoire de Ron (dont le disque final, « Rainbow Circles », est par ailleurs un splendide héritage). « Great Expectations » a été compilé à partir d'enregistrements live réalisés lors de trois concerts de la tournée inaugurale du quartet.

Jason Palmer, auteur d'une douzaine d'albums sous son nom et musicien très sollicité pour sa sonorité claire et ses improvisations post-bop innovantes, est ici associé à une musique plutôt différente de celles auxquelles il contribue d'habitude. Le style à géométrie variable de Julien Tassin, qui s'étend de la musique ambient au blues électrique en passant par le minimalisme et un avant-gardisme difficile à cerner, laisse certes de la place à l'intégration de nouveaux instruments, mais sans qu'on puisse pour autant en deviner le résultat. Et le fait est que le trompettiste s'insinue partout avec grâce et professionnalisme, empruntant des chemins de traverse et créant un univers sonore souvent inattendu. En tant que compositeur, Julien Tassin a pourtant brouillé les pistes, découpant même certains titres en plusieurs sections distinctes. Ainsi « Birth Suite » commence comme une ballade qui va crescendo avant de muter soudainement en un passage plus brut avec une guitare tranchante qui incite le trompettiste à jouer plus librement. En hommage à Ron Miles, Julien a écrit un « To Ron » à l'énergie débordante. « Mirage » est totalement imprévisible avec son rythme qui enfle et sa mélodie qui se déstructure avant d'exploser, tel un feu d'artifice, en un blues-rock inattendu où guitare électrique et trompette se chevauchent pour le plus grand plaisir du public. Après un « Inner Shadows » atmosphérique, « Resilience » est l'un des sommets de l'album avec ses échanges organiques, son énergie brute et des solos tendus qui mettent la pression en poussant l'aiguille dans le rouge.

Même s'il reflète ses goûts éclectiques, ce disque tangentiel est différent de tout ce qu'a produit Julien Tassin auparavant. De nouvelles portes sont ici ouvertes avec fracas, libérant un torrent sauvage dont les méandres sonores s'aventurent bien au-delà de ce qu'on pouvait imaginer."

Chronique de Pierre Dulieu pour Jazzmania