John Cage composa ASLSP en 1985 ; il s'agit d'un oeuvre pour piano seul en 8 mouvements dont 7 seulement sont à jouer au choix de l'interprète ; pour maintenir le nombre initial, un mouvement, quel qu'il soit, devra être répété. Comme souvent, Cage ne précise ni la dynamique ni le tempo et ne s'en tient qu'à des indications relatives aux rapports de durées et à des instructions visant à déconnecter des réflexes techniques de lecture ou encore de la synchronisation des mains. Cependant, préalablement à l'exécution de l'oeuvre proprement dite, c'est le titre ASLSP, dont les lettres sont les initiales de " as slow as possible ", qui posera le premier défi d'interprétation ; quelles sont les limites sous-entendues par la formule " as possible " ? Celles définies par le ressenti de l'interprète ou par le temps physique? Sans oublier les contraintes matérielles depuis les horaires des salles de concerts jusqu'aux limites des supports d'enregistrement! A en juger aux différents formats des interprétations existantes ou en cours, toutes les hypothèses ont été retenues, qu'il s'agisse de versions rapides n'atteignant même pas 20 minutes, ou plus longues comme celle de la présente interprétation de Sabine Liebner qui dure 64 minutes ou même étalées sur plusieurs siècles comme c'est le cas de la version pour orgue rebaptisée Organ2/ASLSP (1987) qui, ayant débuté en 2000 sur l'orgue de Halberstadt (un silence précède la première note émise en 2004) devrait se terminer en 2639, si l'humain et le matériel parviennent à suivre. Si cette prise à la lettre du titre, en sortant l'oeuvre du cadre temporel ordinaire, ouvre en fait un véritable calendrier de commémorations pour les aficionados actuels et futurs de Cage, elle permet aussi de croiser avec la perception du présent une ligne de temps transcendant la mesure humaine et de suggérer une appréhension temporelle autre que le regard distancié de l'histoire. Il est, par ailleurs, significatif que Cage, pour compléter la compréhension du titre ASLSP, mettait ce dernier également en lien avec l'exclamation " Soft morning city ! Lsp " du dernier paragraphe de Finnegan Wakes de Joyce, oeuvre qui fut inspirée de la conception cyclique de l'histoire développée par Giambattista Vico (1668-1744) et de la théorie du temps infini de Giordano Bruno. JL