S'attaquer à la Missa Prolationum de Johannes Ockeghem, c'est comme escalader l'Everest ! Les 9 chanteurs de l'Ensemble Musica Nova ont beau être rôdés à ce type de musique, l'exercice reste périlleux surtout si l'on utilise le matériau original écrit à deux voix. C'était en effet les interprètes qui devaient reconstituer la partition à quatre voix en déduisant les différents canons et autres subtilités contrapuntiques qu'elle contient avant que les éditeurs ne se donnent la peine d'établir un support visuel déjà réalisé. En matière de contrepoint, Ockeghem était un orfèvre en la matière, il a fallut attendre Johannes Sebastian Bach pour voir ressurgir une telle maestria dans l'art de superposer des voix autonomes pour obtenir un tissu sonore harmonieux. Quel est le challenge de la Missa Prolationum ? Cette oeuvre joue sur les proportions de tempo. En effet, à une époque où la notation musicale restait imprécise, il était loisible, selon l'indication de mesure, d'interpréter les valeurs de notes de plusieurs façons différentes. Ainsi si la mélodie restait la même, les durées de notes variaient, rendant possible la création d'un canon par superposition de lignes mélodiques mesurées différemment. Imaginez par exemple que le soprano chante le thème pendant que la basse le chante deux fois plus lentement et le ténor, deux fois plus vite. On peut aussi varier les intervalles entre les deux propositions mélodiques qui vont évoluer en canon et c'est ce que fait Ockeghem dans cette messe. Le Kyrie construit le canon à l'unisson, le Christe est à distance de seconde et le deuxième Kyrie, une tierce plus haut. Le Gloria mène son canon à la quarte et ainsi de suite jusqu'à l'Osanna qui atteint l'octave. Visiblement, le compositeur a pris du plaisir en composant cette oeuvre. Son grand art réside dans le fait que celle-ci sonne magnifiquement. Le livret accompagnant cet enregistrement vous dira tout ce que vous voulez savoir sur les techniques utilisées dans cette messe mais vous pouvez aussi tout simplement écouter ce disque pour sa beauté intrinsèque. AG (d'après le Diapason de janvier 2013)