"Le Suédois Hans Appelqvist vous emmène dans la ville fictive de Bremort: un patchwork musical comme fil rouge pour Bremort et ses habitants. Appelqvist raconte des histoires musicales et fait de la musique comme les cinéastes font des films".

Le collage en musique est toujours l'occasion de jouer avec les sentiments. C'est qu'on ne colle pas n'importe quoi avec n'importe quoi. Qu'il s'agisse de proposer une tranche d'intimité, comme Dominique Petitgand ou de publier son album de photos comme The Books, le collage est une manière de se faire plaisir, d'accumuler les choses qu'on aime, les unes au-dessus des autres, d'empiler à l'envi ses obsessions, ses références, ses idées fixes. On peut construire l'empilement à partir du son, comme un Holger Czukay, ou bien chercher une résonance sentimentale, comme Hans Appelqvist. Chacun de ses morceaux part d'un prétexte, comme les trois petites pièces du mini-cd "Att Möta Verkligheten", construites autour de la voix, trois chansons, en trois ou quatre langues différentes, mises en forme, en musique et en contexte par Appelqvist, qui apparaît lui aussi, au milieu du champ, pour interroger ou encourager ses invités. Ou comme son album Naima dans lequel au détour d'une mélodie récurrente (la naimamelodin) on croise Appelqvist, ses voisins, les enfants de sa rue, etc. Comme chez The Books, le sentiment d'intimité qui traverse l'album est renforcé par une musique (faussement ?) acoustique: piano, guitare, cordes, jouées et découpées pour correspondre aux saynètes domestiques, se superposer aux chansons et aux dialogues invités. C'est également le cas ici, avec l'album Bremort, déclaré "album pop de l'année 2004" par la radio nationale suédoise, et qui raconte la vie quotidienne d'une villesuédoise, nommée Bremort donc, à travers quelques tranches de vie mettant en scène ses habitants. Encore une fois c'est un quotidien domestique, presque banal qui est proposé à l'auditeur, quelques vignettes enregistrées dans la rue, d'autres chez les habitants, l'une encore dans un café ou le local de répétition d'un orchestre local. La musique d'Appelqvist s'intègre ensuite dans ce paysage sonore, parfois bande-son du film, parfois chanson pop, s'immisçant par surprise, comme dans une comédie musicale où la ville soudain s'arrête et où les habitants se mettent à chanter, à danser, pendant quelques minutes, avant de reprendre le cours habituel de leur vie. Quelques recherches suffisent (mais sont nécessaires) pour découvrir que cette ville est en fait imaginaire, et que la carte géographique qui accompagne le livret est un faux. Les dialogues semblent pourtant fort crédibles, même sans comprendre le suédois, les ambiances sonnent justes, plus justes souvent que la plupart des feuilletons télévisés basés sur le même type de situations. C'est d'ailleurs un peu cela que le disque évoque; son découpage en séquences, les jeux de montage à l'intérieur des scènes (leitmotiv, flash-back, inserts, plans de coupe, champ/contrechamp d'une conversation téléphonique), rappellent la télévision, ou le cinéma, une manière bien particulière de raconter une histoire, ou de restituer une ambiance. Et le collage de scènes éparses, "tournées" à des endroits et des moments différents, finit par magie par créer une seule continuité, une seule histoire, une seule réalité.

Benoît Deuxant