Dans la foulée de leurs excellents albums respectifs, Replica pour Lopatin/Oneohtrix Point Never et Ravedeath, 1972 pour Hecker, les deux musiciens se sont réunis pour réaliser ce Instrumental Tourist, non pas par échange de fichiers comme beaucoup de collaborations de ce type, mais face à face, IRL, dans la vraie vie, pour improviser à l'ancienne.

Partant du simple désir de jouer ensemble, Daniel Lopatin et Tim Hecker ont ensuite élaboré un concept pour diriger et aiguillonner leurs improvisation, et se sont mit d'accord sur l'idée d'utiliser une palette sonore constituée d'imitations synthétiques d'instruments de musique de monde. Lopatin est connu pour être grand amateur d'instruments électroniques du début des années 1980, et utiliser les synthétiseurs pour leur potentiel nostalgique, pour les réminiscences musicales que leurs sons d'usine génèrent. Parmi ces presets, ces sons préprogrammés que beaucoup de musiciens essaient de ne pas utiliser tellement ils sont reconnaissables, les plus douloureux sont entre autres ces fameux sons " world ", ces approximations d'instruments traditionnels, désincarnés, plaqués sur un clavier (qu'ils soient cordes, percussions ou instruments à vent) et exploités de manière généralement abusive pour donner une touche d'exotisme à la moindre bluette en manque d'imagination. Kotos et sitars artificiels servent alors à évoquer tout et n'importe quoi, de la Chine à la Papouasie.

Le challenge amusant, pour les deux musiciens, a donc été de réaliser un album crédible à partir de sons à la fois aussi chargés et aussi pauvres. L'honnêteté exige immédiatement de reconnaître que le concept n'a eu que peu d'influence sur le résultat, tant le travail de studio a modifié ces sonorités, n'en gardant qu'une faible trace, pour au final se rapprocher des tonalités musicales habituelles de chacun ; et de constater que la rencontre entre les deux univers a résulté en grande partie en leur simple juxtaposition. Mais ces deux simples réserves mises à part, Instrumental Tourist se révèle un excellent album réunissant les approches personnelles des deux musiciens dans un dialogue qu'ils comparent avec l'improvisation telle qu'elle se pratique dans le domaine du jazz, la rencontre de deux pratiques instrumentales et le plus strict minimum possible de préparation ou de concertation. En ce sens, c'est ce qui ressort le mieux de ce disque, le plaisir de deux musiciens qui voulaient jouer ensemble. (Benoit Deuxant)