Jusqu'à aujourd'hui on aura chez nous cantonné Cornelius (Keigo Oyamada) au rôle d'avatar nippon de Beck : un brillant - mais un peu vain - condensateur et compilateur de styles musicaux variés, l'artiste post-moderne "par excellence". Au Japon pourtant, son statut de génie pop et d'idole locale ne se discute même plus. Au sein de Flippers Guitar, un groupe, certes, profondément influencé par l'indie pop anglaise, il aura tout de même, au début des années nonante, inauguré la scène pop dite "de Shibuya" (nommée ainsi en référence à un quartier réputé de Tokyo) où s'épanouiront des artistes tels que Pizzicato Five ou Kahimi Karie. En solo, dissimulé sous le pseudo Cornelius (un des chimpanzés de la Planète des Singes), il multipliera les disques bourrés, de citations, de clin d'oeil ludiques et érudits (à l'easy listening, au hip hop, au hard rock).

Une démarche qui connaîtra son point culminant en 1997 avec l'extravagant Fantasma, une déclaration d'amour baroque à la pop, le terme étant compris ici dans son acception la plus large : de JS Bach à la drum'n'bass, en passant par les Beach Boys ou le shoegaze.

Depuis lors, le petit garçon mutin et survolté a laissé la place à un maître du haïku électrique et un adepte de l'épure sonore. Avec Point (XC718R), sorti en 2001, tout d'abord, un disque sans équivalent dans la production musicale contemporaine qui nous faisait notamment danser notamment sur une chanson battue par le rythme d'une eau clapotante (Drop).

Aujourd'hui, Sensuous, le bien-nommé, inscrit la hi-fi dans le domaine du rêve. Ce ne sont pas véritablement les " chansons " - ses gimmicks et refrains - qui font le disque mais bien l'agencement des sons, leur mise en scène qui excitent l'écoute. "Music is organized by sounds" rappelait il y a dix ans sur l'album The Sound Of Music (XP493F) le duo japonais Pizzicato Five. Cornelius fait ici de l'adage son credo, le point de départ de ses aventures abstraites et virtuoses qui se révèlent être finalement plus proche du travail visuel d'un Norman McLaren que d'un songwriting classique inscrit dans la filiation Beatles/Beach Boys. On ne s'étonne d'ailleurs pas de voir chacun des titres de Sensuous s'étendre naturellement à d'autres sens connaître un prolongement visuel à travers de magnifiques vidéos/mises en mouvement des sons.Un travail de haute précision au service d'une pop satori humble et inventive. (JDN)