TEN YEARS OF TEARS!
« Veuillez avoir libéré ces lieux dans une demi-heure et emprunter la porte de service afin de quitter cet endroit en bonne intelligence et en toute discrétion ! ». Pareille injonction, froide et pétrie dans
l'inhumanité des règlements administratifs d'ordre interne, tombe comme le couperet fatidique mettant un terme à un harassant processus conflictuel opposant deux parties, autrefois liées à un devenir commun et désormais renvoyées à leur solitude et/ou à de plus basses préoccupations matérielles. Cette banale épitaphe érigée à l'inconciliable être-ensemble dans sa traduction quotidienne, Aidan Moffat et Malcolm Middleton nous l'ont au moins épargnée, séparés en bons termes et disposant chacun d'exutoires solos (L. Pierre pour le premier, sous sa propre gouverne pour le second), autrefois soupapes de rechange, et à présent double assurance de recevoir de leurs nouvelles.
Un petit miracle que ce faux groupe/vrai duo ait tenu le coup là où un certain Ian Curtis (Joy Division) sollicita sans ménagement son carton d'invitation auprès des dieux. Outre son inclination à une noirceur proverbiale, l'écriture d'Arab Strap, l'une des plus brillantes de ces deux dernières décennies, semble taraudée par de semblables thématiques houellebecquiennes développées par l'auteur français, entre autres dans Les particules élémentaires. À savoir : la logique de la lutte des classes, poussée à son terme dans un contexte de libération sexuelle, n'a débouché que sur le triomphe de quelques champions (?) à qui tous les honneurs sont promis, dans un immense océan de misère affective. Désirs non exprimés ou inassouvis, amour introuvable ou impitoyablement ‘déceptif’, enfer domestique, dérivatifs (alcools, drogues...) inopérants, amitiés déconfites et la trahison et le déchirement comme règles-mères des échanges humains, les chansons presque atones d'Arab Strap s'encaissent plus qu'elles ne s'écoutent et fileraient le bourdon au Joker, le ricanant ennemi de Batman. Mais en balayant impitoyablement le moindre faux-semblant qui encombre les vies de leur rassurante fausseté et en se délestant de leur trop-plein d'angoisse existentielle, elles assurent leur travail de purge et d'inventaire. « Et que faire dès lors que tout est dévasté si ce n'est de reconstruire ? ».
En attendant, ce disque et ses Dix années de larmes, compilant faces B, prises live (qui trahissent une légitime filiation aux immenses The Fall), raretés, versions alternatives et reprises incongrues (mais exploit, rien qui n'ait figuré comme tel sur un de leurs albums !) sonnent comme dix années de plaisir coupable ou contrit, un peu comme s'il fallait se garder du bonheur obligatoire et imposé d'aujourd'hui.
Cheers & so long !
Yannick Hustache