VIDA LOCA (LA)
Lieu de non-droit, gang, vie de chien et mort d’homme
Au Salvador, la jungle la plus mortelle ne compte qu’une espèce animale : l’homme. Pas encore menacé de disparition, son espérance de vie dépasse rarement les 25 ans.
Edifiant !
Le corps d’un adolescent déposé en terre dans d’insoutenables cris de douleur ; des corps tatoués des pieds à la tête qui s’exposent aux regards comme des avertissements codés et clairement dirigés, ou s’offrent en cibles potentielles à une menace permanente, invisible, sournoise et meurtrière ; des corps fiers entassés dans la sordide promiscuité de geôles aux dimensions étriquées d’un chenil, ou s’oubliant dans la moiteur d’une éphémère parade nuptiale, d’une danse où l’abandon devient possible, d’un partage cannabique ritualisé qui laisse affleurer, comme par miracle, l’amorce d’une certaine tendresse. Un sentiment que d’aucuns leur en dénieraient la plus infime part…
La Vida Loca, c’est la vie folle que choisissent de mener des centaines de jeunes garçons et jeunes filles intégrant les gangs de « maras » dans un pays d’Amérique Centrale, le Salvador qui n’en finit pas de s’enfoncer dans une interminable après-guerre civile, elle-même succédant à un long conflit (1980 à 1992), et donc condamné pour longtemps encore à faire les frais de ses deux plus évidents « désagréments » : une pauvreté endémique et une violence hors de toute proportion. Violence qui semble constituer l’unique réponse d’un Etat renforcé, qui tant par l’action (hyper musclée) de ses forces de l’ordre que par celle, à sens unique, de son dispositif judiciaire, ne connaît qu’un seul langage, celui de la répression.
C’étaient déjà ces mêmes maux, hypothéquant tout embryon d’avenir qui poussèrent nombre de Salvadoriens à émigrer à Los Angeles où ils ne tardèrent pas, selon la nomenclature locale, à se constituer en gangs de type ethnique (détail amusant : les « Maras » ont récupéré la garde-robes et le son hip-hop des B-Boys de L.A.), avant de, progressivement et au rythme des expulsions, revenir au pays et de s’y tailler un territoire où ils font la loi. Nés suite à une obscure dispute à propos d’une femme (voir bonus), la « Mara Salvatrucha » (MS) et la « Mara 18 » se livrent, dans la grande banlieue de la capitale San Salvador, à une guerre sans merci qui dépasse de loin les enjeux économiques habituels : drogues, trafics, extorsions, enlèvements etc. Plus de 3000 homicides par an pour une nation de moins de 6 millions d’habitants et une vague estimation à plus de 15000 Maras reconnus – pour moitié en prison – donnent une idée de l’ampleur d’un réalité devenue de fait « sociétale ». Des existences jetées sur le fil du rasoir de l’existence (la mort est partout et les frappe pour la plupart avant 25 ans) sur un mode accéléré (ces « gamins » se lient et ont des enfants très tôt et se séparent aussitôt) et dont la fin quasi programmée vient alimenter le perpétuel cycle des représailles.
Dans La Vida Loca, le journaliste et photographe franco-espagnol Christian Poveda est allé au-delà de l’évènementiel spectaculaire de trop de reportage TV pour traquer « l’humanité du malgré-tout » retranchée dans des contrées particulièrement inhospitalières au travers de portraits sobrement esquissés. Autorisé, après maintes tractations et refus du clan adverse (« MS ») à suivre les chiens fous de la « 18 » s’abstient de les accompagner « en opérations » pour faire apparaître détails et zones grises légèrement pigmentées de blanc. Au sinistre rituel des enterrements d’où monte une clameur vengeresse ( « Réglons ça dans le sang ! ») contrastent les chambres collectives d’ados avec peluches et posters de stars du moment. Au lourd décompte des fauchés par balles (illustré d’une forte déflagration dans le film) en pleine rue succède une collecte de soutien aux familles et aux corps transpercés, le visage reconstruit d’une jeune femme qui redécouvre sa féminité. Enfin, au fatalisme d’une mère qui espère faire placer son fils en maison de correction « pour le protéger des gangs » et aux slogans fiers-à-bras d’enfants-soldats (« Vis pour tuer, tue pour vivre ») tranche le courage d’ex-maras tentant de mener à terme un projet de réinsertion avec la construction d’une boulangerie.
Entreprise qui tourne court à la condamnation de l’un des responsables et annonçant, tel un sinistre présage l’assassinat du cinéaste lui-même le 2 septembre 2009. Poveda était devenu l’homme à abattre dès le piratage de son DVD vendu pour trois fois rien dans tout le pays !
Alors, plus folle la vie ?
YH.