« Copying Beethoven » (Agnieszka Holland) - La belle et la bête
À quelques jours de la création de la Neuvième symphonie, le fidèle copiste de Beethoven, Wenzel Schlemmer, tombe gravement malade et ne peut assurer son travail. En urgence, une demande de remplaçant est envoyée au Conservatoire de Vienne. C’est la jeune Anna Holtz (Diane Kruger) qui se présente, au grand désappointement de Schlemmer qui n’imagine pas une seconde qu’elle pourra s’entendre avec celui qu’il appelle « la Bête ». La première apparition de Beethoven illustre bien le caractère coléreux et effrayant du personnage : furieux d’avoir repéré une faute dans la copie, il s’engouffre en trombe dans le logement, s’emporte sur le malheureux copiste, lance les feuilles à la volée, et sort comme une tornade. Mais Anna Holtz ne renonce pas, aspirant de tous ses vœux à travailler pour lui, quoi qu’il lui en coûte.
Le film est romancé, on s’en doute, et l’apparition de la jeune femme donnera lieu à une relation platonique ambiguë. Mais ce fil amoureux est finalement accessoire et n’est qu’un prétexte au sein d’un discours plus approfondi. Tout d’abord, il met en lumière les innovations que recèlent les deux œuvres précitées. La « Neuvième » est la symphonie de Beethoven dans laquelle il a placé le plus grand effectif orchestral de toute sa production. Elle révolutionne les formes et fait montre d’une prodigieuse complexité d'écriture. C’est aussi la toute première symphonie de l’histoire à intégrer un quatuor de solistes et un chœur, à la manière d’un oratorio, sur l'Ode à la joie de Schiller qui aura la prospérité que l'on sait.
La réalisatrice Agnieszka Holland reconstitue sa première exécution au Theater am Kärntnertor, dans une salle éclairée aux bougies. La jeune Anna guide le maître en dirigeant depuis l’orchestre. Une scène forte qui rappelle le succès véritable que connut l’œuvre dès sa création. Quant à la Grande fugue pour quatuor à cordes, c'est une entrée dans la modernité, une expérience radicale qui projette Beethoven aux portes du XXème siècle.
Carl Wenzel Zajicek, Das Kärntnertortheater in Wien
Ensuite, le film égrène une foule d'éléments biographiques authentiques : à quelques jours de la première interprétation de la Neuvième, Beethoven a bien demandé le secours de deux étudiants ; Wenzel Schlemmer était son copiste favori, l’un des rares à pouvoir déchiffrer son écriture ; il a recouru à divers appareillages pour mieux entendre les sons : cornet acoustique, plaque de métal derrière la tête, tige tenue entre les dents… ; il se jetait des brocs d’eau froide sur la tête, ce qui lui valait l’inimitié de ses voisins du dessous et de fréquents renvois ; lorsqu’il dirigeait, un musicien tapi dans l’orchestre le guidait parfois pour éviter les catastrophes que pouvait susciter sa surdité, etc.
Mais c'est dans le portrait de la personnalité tourmentée de Beethoven que le film se révèle le plus abouti. Incarné par Ed Harris, doté de lentilles brunes pour accentuer la ressemblance, le rôle a été soigné aux petits oignons. L'acteur américain qui, de son propre aveu, ne connaissait pas vraiment la musique de Beethoven, s'est plongé dix mois dans son univers, ses cahiers de correspondance et de conversations, les témoignages de son époque. Il s'est imprégné de tous ces éléments pour le sortir de l'histoire et du mythe et en faire un être humain. Il a pu traduire toutes les contradictions et les excentricités dont nous avons la trace : ses actes de violence, sa profonde humanité, ses effroyables accès de colère, son tempérament hautain et mégalomane, mais aussi un caractère généreux, tous ces aspects a priori inconciliables, Ed Harris a pu les incarner avec réalisme. Même la gestuelle de chef d'orchestre est parfaitement convaincante. L'épaisseur donnée au personnage est vraiment l'atout premier de cette fiction bien ancrée dans l'histoire. Un très bel hommage rendu au compositeur...
Nathalie Ronvaux