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Histoires de labels (11) : Touch And Go / Quarterstick records

logo Touch And Go

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publié le par Yannick Hustache

Né d’un fanzine punk, ce label basé à Chicago a incontestablement écrit, quasi trois décennies durant, quelques-unes des plus belles pages du rock alternatif américain.

Sommaire

Du fanzine au label

Une histoire (pas tout à fait terminée) qui commence à plus de 450 km de là, à Détroit. En 1980, (les) Necros, un groupe punk hardcore originaire de l’Ohio cherche un financement pour enregistrer un premier 45t. Il le trouve auprès de Tesco Vee (lui-même leader des punks de Meatmen) et d’un certain Dave Stimpson qui dirige alors un fanzine du nom de Touch And Go. « Sex Drive », paru en 1981, signe l’acte de naissance officiel de Touch And Go, le label.

Deux ans plus tard, le dénommé Corey Rusk, qui initialement tenait la basse au sein des Necros, quitte le groupe pour se consacrer, avec son épouse Lisa, exclusivement au label. Seul maître à bord après le départ de ses premiers fondateurs, les Rusk ouvrent, toujours à Détroit, une salle, le Graystone Hall, où se produisent ce qui se fait de plus marquant en matière de punk et de hardcore de ce début de décennie (Black Flag, Minutemen, The Misfists…), mais aussi quelques groupes bientôt signés sur le label (Big Black, Negative Approach).

La fin des années 1980 correspond à celles du déménagement vers Chicago, cité des Grand lacs et troisième ville américaine par la taille et la population. Ex-ville industrielle à laquelle le label sera systématiquement associé.

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Corey Rusk (image : Mostly Random Photo)

A new label in town

Par-delà le large spectre des musiques balayé par son plantureux catalogue, Touch And Go devient l’une des structures indépendantes les mieux organisées et respectées par les groupes et artistes qui ont travaillé avec lui. À une notable exception près – The Butthole Surfers, qui trainera Rusk en justice et s’en ira fonder le cultissime label Trance Syndicate du côté d’Austin –, les signatures de l’écurie chicagoane porteront le logo du label tel un gage d’intégrité et un signe de reconnaissance, à une époque où certains achètent des disques sur la seule foi de cet identifiant pourtant discret : le nom du label écrit finement dans l'encadrement hachuré au gros trait où figure le mot « records » !

Le développement de T & G passe aussi par celui de sa base de distribution qui permit de mieux faire connaître et rendre disponibles, à l’échelle de l’immense territoire américain, les productions d’autres labels indépendants tels Merge (futur découvreur d’Arcade Fire), Jade Tree, Drag City, Kill Rock Stars, Atavistic…

La reconnaissance tant critique que (dans une certaine mesure) commerciale de certains de ses poulains, The Jesus Lizard, Girls Against Boys ou celui post-mortem de Slint pour Touch And Go, pousse l’équipe de Rusk à créer en 1990 un label frère, Quarterstick Records qui accueillera des signatures aussi singulières que Calexico (pour les USA), Pegboy, The Rachel’s ou encore Shannon Wright.

les signatures de l’écurie chicagoane porteront le logo du label tel un gage d’intégrité et un signe de reconnaissance, à une époque où certains achètent des disques sur la seule foi de cet identifiant pourtant discret : le nom du label écrit finement dans l'encadrement hachuré au gros trait où figure le mot « records » ! — Yannick Hustache

Le son bruyant de l’underground

Parti comme tant d’autres (Dischord, Homestead, SST…) d’un bain matriciel sonore typiquement hardcore du début des années 1980, avec The Fix ou Negative Approach, Touch And Go va se tourner vers une nouvelle génération de groupes difficilement réductibles à un genre particulier et unique, même si partageant un son abrasif, froid et dissonant, qu’avec le recul on regroupera dans le fourre-tout catégoriel noise rock. Et en des temps marqués par le développement des chaînes de télé musicales et leur torrent de clips vidéo en continu et de ses stars comètes, les poulains de l’écurie chicagoane cultivaient plutôt anonymat et discrétion.

À l’exception, sans aucun doute, de la faconde du musicien, producteur et joueur de poker (!) Steve Albini, un look de comptable à binocles, mais le verbe tranchant, toujours une saillie acide sur le bord des lèvres à l’encontre des majors et du monde du business musical, et défenseur d’un discours sans concession sur l‘éthique façon rock indie (mais non sans une pointe de mauvaise foi). Pourtant, cet ingénieur du son – comme il aime à se définir lui-même – au CV gratiné (Pixies, Nirvana, PJ Harvey, Robert Plant & Jimmy Page… et des centaines d’autres, dont quelques Belges tels Vandal X), au travers de ses groupes successifs (Big Black, Rapeman, Shellac), et de son studio d'enregistrement Electrical Audio fondé en 1997, va y être pour beaucoup dans la caractérisation du son T & Go.

Sans avoir nécessairement touché le « grand public » (qu’il faudrait un jour songer à définir), la maison de l’Illinois compte dans ses rangs un nombre record de groupe séminaux ou de formations jouissant d’une aura culte qui traverse les décennies : Rodan, Don Callero, Polvo, Tar, Slint, Brainiac, Laughing Hyenas, Killdozer, Didjits, Kepone, Arcwelder…

Touch & Pop

Au mitan des années 1990, après le départ de trois de ses plus gros poulains en termes de notoriété – The Jesus Lizard, Urge Overkill et Girls Against Boys – vers les cieux plus rémunérateurs des grandes firmes de disques alors échauffées par la perspective de signer un nouveau jackpot à la Nirvana (qui d’ailleurs sortit un 45t partagé avec JL sur le label) en faisant leur shopping auprès des labels (encore) indépendants, Touch & Go fait prendre un bain d’air frais pop à son catalogue.

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Slint : Spiderland (Image : Grantland)

Outre quelques singularités purement instrumentales (Dirty Three du futur violoniste de Nick Cave, Warren Ellis), le label accueille les deux formations issues du split de Three Mile Pilot que sont The Black Heart Procession et Pinback ou encore le trio italo-japonais Blonde Redhead.

Le début des années 2000 s’annonce prometteur en termes d’ouverture musicale et de consolidation avec trois groupes au potentiel commercial réel sans céder pour autant à la facilité : TV On The Radio, The Yeah Yeah Yeahs et le duo CocoRosie.

En 2006, le label fête ses 25 ans d’existence en organisant dans sa bonne ville de Chicago un festival de trois jours, où se produit quasi l’intégralité des artistes qui y ont séjourné à un moment donné, ponctué de la reformation exceptionnelle de quelques groupes pour cette unique occasion : Big Black, Scratch Acid, Negative Approach, Man or Astro-man?

This is (not) the end

Mais en 2009, le recul important de ses ventes physiques oblige Touch And Go à réduire drastiquement la voilure, arrêtant pour une dure indéterminée la prospection de nouveaux talents (c’est toujours le cas en 2021) et mettant fin à l’existence de leur filière distribution. Le label existe toujours aujourd’hui, concentrant son travail essentiellement sur la revalorisation constante de son back catalogue par une politique de rééditions continue.

Touch And Go/ Quarterstick en quelques disques

Difficile d’opérer une sélection qui combinerait à parts égales historicité des sorties, coups de cœur personnels et disques incontournables et/ou injustement passés inaperçus. Mais, sans conteste, l’un des acteurs majeurs de l’underground rock U.S.

1 : Songs About Fucking, Big Black (1987)

Boîte à rythmes martiale, guitares papier de verre, son sursaturé, chansons aux thèmes plus sensibles les unes que les autres (viol, misogynie, racisme, automutilation…) et à l’humour douteux, le post-punk de laminoir industriel, mené par Steve Albini et deux ex-Naked Raygun, reprend les choses là ou Metal Urbain ou Chrome les avaient laissées, pour les porter à un point d’incandescence malsain et forcément jouissif. Et pourtant, le groupe est capable de faire preuve de respect, comme sur cette reprise plutôt bien tournée de « The Model » de Kraftwerk.

2 : Two Nuns and a Pack Mule, Rapeman (1989)

Après la séparation de Big Black, Albini poursuit sur sa lancée en compagnie d’ex-Scratch Acid (aussi sur T & G) avec Rapeman (violeur), tiré du nom d’un personnage de manga, et qui leur vaudra l’ire de quelques ligues féministes. Comme du Big Black reptilien avec un vrai batteur, mais toujours autant de saillies humoristiques : une chanson (« Kim Gordon's Panties ») parle de la petite culotte de Kim Gordon, alors bassiste (des amis) de Sonic Youth, une autre du suicide en direct télé d’un politicien (« Budd »).

3 : Spiderland, Slint (1991)

Incunable absolu. Un quatuor dépourvu du plus élémentaire ego qui invente, quasiment à lui tout seul, un genre devenu depuis un bien encombrant marronnier musical : le post-rock. Un disque de noise rock et post-punk friable comme la rouille, qui hurle sa colère froide vers l’intérieur, entre deux silences assourdissants et explosions hardcorisantes, où l’on murmure plus qu’on y chante, voire qu’on y laisse tout le champ d’expression aux seuls instruments. La moitié des auditeurs de ce disque ont probablement fondé un groupe dans la foulée, comme sommés (et sonnés) de devoir réagir après un album au magnétisme anthracite qui se conclut par un final terrassant, « Good Morning Captain ».

4 Liar, The Jesus Lizard (1992)

Sans aucun doute, le meilleur combo live des années 1990. Formé par deux ex-Scratch Acid, dont un David Yow (chant et borborygmes) qui passe une bonne partie de son temps, en concert, à s’arrimer directement aux corps des spectateurs agglutinés au devant de la scène ! Groupe culte d’un genre qu’il a contribué à définir – le noise rock –, Jesus Lizard est le dépositaire d’un rock sec comme une trique, où les « modulations vocales éthyliques » de son chanteur croisent les riffs malins (et affutés) de Duane Denison (aujourd’hui dans Tomahawk) sur des structures rythmiques portantes instables tissées par David Sims (basse) et Mac Mc Neilly (batterie). Pour l’anecdote, Yow confiait un jour à une revue musicale qu’il adorait les titres de chansons dont les titres faisaient quatre lettres (qui porteraient malheur aux USA) et qu’il voyait son groupe comme la traduction moderne de l’ambiance des romans noirs de Jim Thompson (The Killer Inside Me [L'Assassin qui est en moi], Pop 1280 [1275 Âmes]...)

5 Venus Luxure No.1 Baby, Girls Against Boys (1993)

LE groupe qui eût mérité de décrocher la timbale d’un succès au moins égal à celui de Smashing Pumpkins. Toujours en activité aujourd’hui, bien que sans nouvel album depuis 2002, ce second disque de ce quatuor US consacre une formule à jamais singulière : une sorte de groove urbain, goudronné et reptilien bâti sur le jeu complémentaire de deux basses, d’une guitare tranchante et d’un synthé en embuscade, sur lequel rebondit la voix cendrée de crooner noctambule de son chanteur au doux nom de Scott McCloud !

6 Rusty, Rodan (1994)

Un unique album pour ce groupe à la descendance qualitative aussi éclatée que peu ordinaire (June of 44, The Rachel’s, Shipping News, The Sonora Pine, Tara Jane O'Neil…). Mais un disque bouillonnant et incandescent malgré une longue introduction paisible. Un condensé de post-hardcore 90’s et de noise rock acéré entrecoupé de brefs moments d’accalmie post-rock pour un résultat étrangement mélancolique, furieux et toujours inspirant.

7 At Action Park, Shellac (1994)

Selon une formule lapidaire, Shellac, c’est le groupe où jouent Steve Albini et Bob Weston et un pote batteur, quand leur agenda d’ingénieurs du son (ces messieurs ont le mot producteur en horreur) le leur permet ! Pour de vrai, un trio qui envisage la scène de façon strictement partagée, tous les trois en ligne en front de scène ! Sinon, un rock minimaliste, corrosif, plus post-punk que réellement noise rock qui ne s’interdit ni les détours alambiqués ni les expérimentations aux forts taux de larsens non dégorgés. Du vrai brut de décoffrage !

8 : Exploded Drawing, Polvo (1995)

Fondé par un certain Ash Bowie (aussi dans Helium et Libraness, mais rien à voir avec David) du côté de Chapel Hill (Caroline du Nord), le quatuor Polvo fraye du côté d’un indie rock noisy nourri de psychédélisme. Le groupe arrive à générer des mélodies d’une étrange beauté alors qu’elles reposent entièrement sur des architectures rythmiques complexes et un matériau sonore à base de dissonances, saturations et de voix légèrement en retrait.

9 : Hissing Prigs in Static Couture, Brainiac (1996)

Sans aucun doute l’un des albums les plus cintrés et acides parus sur le label. Une poignée d’hymnes psychotiques et frelatés sur des synthés pinaillants ou à un doigt de provoquer une panne de secteur. Des rythmes caoutchouteux et des vocaux qu’on croirait échappés de l’asile Residents. Un disque farceur au charme irrésistible qui laissait entrevoir un futur doré pour le groupe… que la sortie de route mortelle de son chanteur Tim Taylor (en 1997) s’empressa de reléguer au statut un peu chiche de « culte ». Son guitariste, John Schmersal a, lui, toujours sur T & G, publié quelques plaques sympas avec son projet Enon.

10 : What Burns Never Returns, Don Caballero (1998)

Prenez un batteur marteau – tant dans la puissance de frappe que dans ses rapports quotidiens aux autres membres du groupe – au toucher tentaculaire, un guitariste inventif bientôt en partance (pour Storm & Stress puis Battles) et des bassistes/guitaristes de passage, on comprend que Don Caballero soit souvent réduit au seul Damon Che. Depuis son premier album pour la maison en 1993 (For Respect), Don Cab’ a posé les bases d’un autre sous-genre indie qui va rapidement faire école : le math rock. En gros, un idiome, la plupart du temps instrumental, riche de syncopes rythmiques complexes et de sentiers détournés. Frontal, technique mais pas techniciste, What Burns Never Returns est l’acmé de sieur Damon

11 : Music for Egon Schiele, The Rachel's (1996)

Groupe à priori atypique pour un label catalogué « guitares » – ici signé sur Quarterstick –, The Rachel’s est un improbable groupe rock avec des cordes fondé par un ex-Rodan. En cinq disques et un EP partagé (avec les électroniciens de Matmos), The Rachel’s élabore une sorte de musique de chambre minimaliste (avec guitare et basse) à forte tonalité mélancolique, parfois traversée de courtes dissonances, mais avec une patine amplifiée, sèche et granuleuse, héritage direct du passé punk de certains de ses membres. Cette musique, qu’un cinéaste belge, Frédéric Fonteyne, instillera dans quelques scènes de son film Une liaison pornographique (1999), annonce l’arrivée de cette vague d’artistes et groupes qualifiés aujourd’hui de postclassiques.

12 : Fake Can Be Just as Good, Blonde Redhead (1997)

Le trio italo-japonais, toujours actif aujourd’hui, a, selon une majorité de ses fans, sorti ses meilleurs albums sur le label US. Parfois considéré comme un épigone d’Unwound ou de Sonic Youth, le trio s’émancipe (voir le titre de l’album) de son encombrant héritage pour proposer des mélodies mutines certes dissonantes et parfois mêmes campées sur des arythmies douces, mais charriant leur lot d’ambiguïtés sensuelles « gainsbouriennes ». D’autant que les intonations vocales doucement inintelligibles de Kazu Makino confèrent à ce disque (et au suivant) une sorte d’étrangeté diablement séduisante.

13 : Amore Del Tropico, The Black Heart Procession (2004)

Issu de la séparation des intrigants Three Mile Pilot, The Black Heart Procession, projet mené par Pall Jenkins et Tobias Nathaniel, est une sorte d’orchestre pop « burtonien » et sombre pourtant issu de la torride (au plan climat) San Diego. Sur ce 4ème disque – le 3ème pour T & G –, Jenkins, de sa voix haut perchée, et sa bande semblent tirer une série de portraits de relations amoureuses qui vont à vau-l’eau dans des ambiances fin de siècle. Un subtil théâtre des cruautés humaines construit sur des pièces musicales (in)tranquilles qui empruntent aussi au folklore cubain et au vaudou/gospel louisianais. Désespérément beau.

14 : Summer in Abaddon, Pinback (2004)

L’autre « spin-off » de Three Mile Pilot. Armistead Burwell Smith IV monte Pinback avec Rob Crow, et ils élaborent une pop comme on voudrait en entendre plus souvent à la radio. Aérienne, surprenante dans ses mélodies à deux voix, complexe sans avoir l’air d’y toucher et reconnaissable à son toucher de basse si particulier, à ses discrets emprunts électroniques et cinématographiques et à ses détours instrumentaux féconds. Un groupe qui se reconnait à la première mesure.

15 : Desperate Youth, Blood Thirsty Babes, TV On The Radio (2004)

Un groupe au potentiel énorme qui n’a jamais hélas récolté au mieux qu’un beau succès d’estime. À l’instar de quelques beaux ovnis new-yorkais pop de ce début de siècle (Liars, Animal Collective…), la pop de TV On The Radio s’abreuve à tous les râteliers – electro, pop, soul, post-punk, hip-hop, shoegaze – pour un résultat radicalement original qui ne ressemble vraiment qu’à eux, et un vrai tube en sus (« Staring at the Sun »). La bande à David Sitek, par ailleurs producteur estimé, signe un disque essentiel et artistiquement charnière pour le label. Mais qui ne suffira pas.

http://www.tgrec.com/

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