Pierre Sanukite [lithophone]
La pierre sanukite est une roche volcanique vieille d’environ 13 millions d’années qui présente des propriétés très intéressantes sur le plan musical : sa résonnance est exceptionnelle et elle permet un nombre presque infini de sons relatifs, alors que la musique occidentale ne propose que des sons absolus. On la trouve à Sanuki, dans l’île de Shikoku au Japon. Les moines bouddhistes l’utilisaient pour annoncer l’ouverture des cérémonies. Le bronze va peu à peu remplacer la pierre. Aujourd’hui le percussionniste japonais Stomu Yamash’ta reste le seul musicien à en jouer.
Le parcours de Stomu Yamash’ta est atypique. Né à Kyoto en 1947, il est fasciné par les percussions depuis l’âge de 8 ans. A 17 ans, il est invité par la Juilliard School à New-York pour étudier la musique classique et le jazz. Très vite, la critique parle de lui comme « l’homme qui a changé le monde des percussions ». Sa notoriété le conduit à jouer avec des orchestres comme le Chicago Symphony Orchestra et le Philarmonique de Berlin et a travailler avec des compositeurs comme Tôru Takemitsu, Hans Werner Henze et Peter Maxwell Davies. Dans les années 70, il joue avec le bassiste Hugh Hopper et monte le groupe rock GO avec le guitariste Al Di Meola, Steve Winwood, Mike Shrieve et Klaus Schulze.
A l’aube des années 80, Stomu Yamash’ta se retire de la vie publique et retourne à Kyoto. Il se consacre à la pratique du zen et à l’étude de la musique bouddhiste. En quête de spiritualité, il vit désormais entre les montagnes au nord de Kyoto et son temple, le Daitoku-ji. Il ne fait plus que de rares incursions dans les salles de concert. C’est en 1978 qu’il a découvert la pierre sanukite grâce au physicien Hitoshi Maeda. Il s’emploie depuis en explorer les immenses potentialités: « Dès que je touche ces pierres, cela provoque une résonance parfois qui m’échappe. Si vous voulez les contrôler, c’est la mauvaise attitude. J’ai fait ça au début, je devenais fou. Vous devez faire attention, car elles existent. J’ai changé totalement mon attitude, et maintenant je découvre tant. Ces pierres ont des fréquences très spéciales et infinies« .
Stomu Yamash’ta accompagne les moines dans leurs méditations avec ses « instruments-sculpture » depuis maintenant une dizaine d’années. Evénement tout à fait exceptionnel, une délégation de 7 moines du Daitoku-ji s’est produite en 2011 à Paris dans le cadre des 20 ans de la Fondation franco-japonaise Sasakawa. Ce fut l’occasion pour le public français de découvrir les sonorités insolites des percussions en pierre sanukite lors de deux concerts à Saint-Eustache : l’interprétation en première mondiale de « The Void », une création contemporaine pour percussions sur pierres sanukite, voix (avec le contre-ténor islandais Sverrir Gudjonsson et la soprano syrienne Noma) et flûtes traditionnelles le premier soir et le « Chant des pierres », une déclamation de sûtra accompagnée par des percussions sanukite et des flûtes traditionnelles le lendemain.
Les deux concerts ont été filmés par Jacques Debs, auteur par ailleurs d’un film musical qui retrace le processus de création au cours duquel Stomu Yamash’ta et Sverrir Gudjonsson ont composé devant ses caméras un « oratorio mystique » à partir de textes sacrés islandais, japonais, araméens et hourrites. Mettant en scène les univers contrastés du Japon et de l’Islande, c’est finalement à une réflexion sur la nature même de notre monde sonore que nous invite Jacques Debs.
Andrée Förster
extrait du film WALKING ON SOUND de Jacques Debs :